Paganisme et Chrétienté
Paganisme et Chrétienté
L'évolution de l'histoire des religions peut être comparée à celle des peuples et des civilisations. Depuis la plus haute antiquité, en tous temps et en tous lieux, une civilisation en a détruit ou absorbé une autre, une religion en a remplacé ou absorbé une autre.
Pour ce qui concerne notre continent, on peut remarquer qu'il n'y a pas eu de démarcation nette entre la fin du Paganisme et le début du Christianisme. Les anciens dieux persistèrent longtemps après l'établissement de l'église Celtique, car les peuples autochtones restèrent longtemps attachés à leurs anciennes croyances et à leurs anciennes traditions, malgré la condamnation plus que vive des cultes des pierres et des dieux multiples.
Dans un ouvrage intitulé "Les origines liturgiques (R.P. Fernand Cabrol)", on peut trouver le passage suivant, fort intéressant et édifiant:
"La liturgie catholique […] ne vient donc pas de Jésus: il faut chercher les origines dans le gnosticisme, et même en dernière analyse dans le paganisme, auquel le gnosticisme servit de pont, et qui ne fut un moment vaincu par le christianisme que pour prendre une éclatante revanche au IVème siècle".
Et un peu plus loin:
"Est-ce qu'en invoquant la Sainte Vierge, ou les saints, […], nous ne serions que de grossiers adorateurs de Pallas Athéné, de la Magna Mater, de Jupiter Optimus Maximus ?"
Dans son ouvrage intitulé "Les saints, successeurs des dieux : essais de mythologie chrétienne", paru en 1907, Pierre Saintyves pose la question très directement:
Le culte des saints est-il d'origine païenne ?
Certains ont soutenu l'argument suivant:
Supposant que l'on puisse démontrer l'origine païenne d'un certain nombre de rites chrétiens, ces rites ont cessé d'être païens lorsqu'ils ont été acceptés et interprétés par l'église.
Déjà, on ne peut que constater que dans l'antiquité méditerranéenne, une grande confusion se fit jour entre les divinités égyptiennes, grecques, et latines.
Ainsi, du temps d'Hérodote, se faisaient des assimilations dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles étaient loin d'être justifiées, certaines se faisant même entre des dieux les plus dissemblables.
Plus tard, lors de l'occupation de la Gaule par les armées romaines, la même ambiguïté se fit jour, les uns et les autres considérant, au hasard de certaines ressemblances, que leurs dieux étaient les mêmes.
A y bien réfléchir, on peut se douter que les Romains eurent une part importante et surtout délibérée dans cet amalgame, ce qui facilitait l'assimilation de leurs coutumes chez les peuples vaincus. Situation typique du vainqueur, ce cas est loin d'être le seul dans l'histoire de l'humanité.
Le résultat étant la difficulté de s'assurer de l'identité des divinités primitives sous leurs noms et attributs d'emprunt.
C'est ainsi que pour ce qui concerne les dieux et déesses gaulois: Apollon fut assimilé au dieu gaulois guérissant les maladies, Mars à celui qui présidait aux batailles. Mais Minerve, assimilée à l'Athéna grecque, déesse de la guerre, fut également vue comme protectrice des arts, de la poésie et des métiers, en particulier ceux des artisans. De quoi en perdre son latin, d'autant qu'en plus de ses attributs guerriers (casque, bouclier, cotte de mailles), on lui prêta la création des instruments de musique jouant un rôle important dans les cérémonies religieuses.
Ce qui existait dans l'antiquité gréco-romaine se répéta donc naturellement avec le christianisme. Nombre de ces dieux, déjà souvent difficilement reconnaissables, furent alors christianisés et coiffés d'une auréole.
Un nouvel olympe en quelque sorte.
Mais pendant longtemps, et jusqu'à nos jours pourrait-on dire, les anciens dieux n'étaient guère loin et se laissaient deviner derrière leur nouvel habillage. Les populations locales maintinrent souvent leurs anciennes habitudes, rites et dévotions, ce qui n'était pas pour plaire au clergé de la nouvelle religion qui lutta contre cet état de fait de toutes les manières imaginables, souvent sans grand résultat.
C'est ainsi que bien que le Dieu de la Bible ait interdit toute représentation de sa personne, et toute vénération d'idoles, les lieux du nouveau culte – et partant, les églises – se peuplèrent de tout un petit monde de statues et d'effigies censées représenter apôtres, saints, et autres martyrs.
Par ailleurs, sait-on, par exemple, que Jupiter a été transformé en Saint Pierre ? Et que selon les lieux et les circonstances, ce même Pierre a été associé aux dieux Lug, Jupiter, ou Thor ? Mais que, bien plus encore, sa statue, qui trône dans la Basilique Saint-Pierre de Rome où les fidèles viennent lui embrasser les pieds, ne serait autre que celle du vieux dieu "païen" Jupiter ?
D'autres exemples ? Apollon, transformé en Saint Michel. Wodan, ou Odin, en Saint Martin. Et le plus significatif et intéressant, pour nous, les Mères celtiques reprises sous l'apparence des Saintes Maries, la plus respectée d'entre elles, Marie, mère de Jésus, étant en fait l'antique Isis. Du reste, il est remarquable d'observer le nombre de statuettes les représentant de façon semblable, l'une et l'autre, la première allaitant l'"Enfant Roi", la seconde, son fils Horus.
A partir de ces quelques exemples, peut-on décréter que le culte chrétien soit une adaptation, un prolongement, ou même une superposition, du paganisme ?
Il serait peut-être un peu tôt pour le dire. Toutefois, on ne peut exclure que toute religion ayant besoin de points de repères, et surtout de modèles à suivre pour le peuple des croyants, le culte des saints et des saintes de la chrétienté soit assimilable à celui des héros des religions païennes.
Néanmoins, si l'on regarde d'un peu près ce qui s'est passé sur notre sol, la nouvelle religion ne put guère faire autrement que d'user du "réemploi".
En l'occurrence, les églises romanes furent presque toujours implantées sur un ancien lieu de culte ou temple païen. Le pape Grégoire le Grand recommandera à son missionnaire Augustin de ne plus détruire ces temples et lui écrira:
"de même que l'homme païen devient chrétien par le baptême, bénis ces temples qui deviendront chrétiens".