Chronique - Le Centre du Cercle (2)
C’était le Cinquième Druide Faith ( Expert Devin) resté silencieux jusqu’à présent et qui faisait son entrée théâtrale en jetant une poudre dans le feu pour attiser les flammes qui se mourraient. Il s’adressa à ses Frères Druides et Jeune Ovate de sa voix grave d’outre-tombe comme s’il venait de lire dans nos entrailles.
« Le hic, c’est qu’en réalité nous savons que rien de tout ça est vrai !
- Comment ça ? demandèrent les Druides d’une seule voix.
Pas plus que la Terre est plate ou carrée, le Soleil, les planètes et toutes les étoiles du Cosmos au-dessus de nos têtes ne tournent autour de la Terre. C’est une illusion due à la rotation de celle-ci en une nuit et un jour.
Les orientations et les points cardinaux n’indiquent que des relations entre ce que nous appelons la Terre et ce que nous croyons être le Ciel.
La preuve c’est que dans l’espace, il n’y a ni haut, ni bas, ni Est, ni Ouest, ni Nord, ni Sud ! D’ailleurs, il n’y a pas plus de jour que de nuit !
- Donc le Centre a perdu sa valeur intrinsèque géométrique ! Par Epona (Déesse gardienne du ciel et de la terre) me voilà perdu ! reconnu le Jeune Ovate, et je ne vois pas comment m’en sortir.
Le Centre n’est pas physique mais métaphysique ! C’est la Loi universelle.
Le Centre du Cercle est la Loi Universelle donnée par Die Pater. C’est une Loi cachée qui m’a été transmise par mon Maître Très Sage précédent Faith et reçue par son Maître de son Maître depuis des lustres…
Cette Loi nous indique que c’est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Cela pourrait être la définition de Die Pater non !!
Die Pater est partout et en toutes choses comme le disait très justement Hermès Trismégite le Trois Fois Grand bien connu de notre Jeune Ovate : - Die Pater est sphaera infinita, cuius centrum est ubique, circumferentia nusquam-
- Encore Hermès osa à voix basse le Jeune Ovate profondément déconcerté. Entre ces deux infinis je suis perdu. Ou suis-je ? Qui suis-je ?
Il leva les yeux et chercha un moment dans le ciel étoilé la Voie Lactée, espérant y découvrir le centre invisible, mais il était trop tôt dans la saison pour la voir.
Le Druide Faith qui avait l’ouïe fine, comme tous les devins, s’adressa directement au Jeune Ovate qui devint tout rouge de crainte et d’humilité :
Tu es né poussière et tu retourneras à la poussière ! C’est ça ton destin, le retour à l’Eternel Orient. Nous sommes né du souffle divin et quand nous mourrons, nous expirons, nous rendons notre dernier souffle !
C’est le Souffle De Vie cria le Druide Faith les bras en V comme s’il soutenait le Ciel avec son grand manteau comme pilier.
Le souffle que nous avons reçu lors de notre naissance, notre initiation et que nous transmettons fidèlement, sans faillir, dans sa plénitude aux nouveaux initiés.»
D’ailleurs, pour revenir à notre sujet, choisi par notre Jeune Ovate, le Centre n’est ni géométrique, ni physique, ni symbolique, ni même théologique. C’est simplement la loi du changement, la transmission du Souffle. C’est ce qui lie tous les êtres à ce Moteur premier en tout point et dans leurs différents états. Qu’ils naissent, croissent, décroissent ou meurent.
Ainsi chacun apporte à son successeur le souffle qu’il a reçu de son prédécesseur. Le remplacement d’une génération par une autre assure la continuité du mouvement du Tout.
Avez-vous remarqué que pour être à même de recevoir le Souffle divin, l’inspiration, il était nécessaire de se vider, d’expirer auparavant ? questionna le Druide Faith, sans réponse il continua : De même, avant de recevoir la Lumière, il nous faut passer par notre mort philosophique. »
Un souffle divin plana quelques instants pendant que tous méditaient ces mots. Le Druide Faith sentant l’assemblée pendue à son Verbe, poursuivit :
« Ainsi au centre du Cercle, il y a le Vide, le Souffle qui se transmet de génération en génération. »
Le Jeune Ovate osa demander la parole et voyant que personne l’en empêchait : « Excusez-moi mais je tourne en rond dans ma tête, on m’explique que le Centre était l’Origine du Tout, puis que le Moteur premier se trouvait sur la Circonférence, que le Cercle signifiait le retour à l’Origine, que le Centre était en fait la Loi Universelle. Et pour en finir qu’en fait, le principal était le Vide et le Souffle de Vie au Centre du Cercle. En tournant ainsi autour du Cercle, on n’atteindra jamais le Centre ! Je m’abîme dans les définitions et cela me donne le tournis, par Epona comment puis-je sortir de ce labyrinthe ?… »
Et regardant autour de lui, il se rendit compte que les Cinq Druides qui avaient pris la parole continuaient à s’agiter en se tournant l’un vers l’autre et dans toutes les directions en cherchant vainement d’aller au-delà du Cercle.
La voûte céleste au-dessus de la clairière de Faubouloin semblait se mouvoir imperturbablement.
Alors quittant le pied du Chêne où il avait suivi toute la conversation, se tenant sur son bâton d’acacia noueux et pointu, dans son long blanc manteau, la barbe longue, les yeux vifs et brulants, Diviciacos, le Grand Druide des Eduens, Druide des Druides de la Gaule, ami de Cicéron, ambassadeur des Gaules au Sénat romain s’avança de son pas lent et majestueux et se mit au Centre du Cercle.
Il pointa son bâton vers le ciel, les autres druides se figèrent sur place et se turent. Le Jeune Ovate essaya de se faire tout petit derrière le Druide Faith comme pour se protéger de Sucellos Druide des Dieux, Dieu des Druides.
Et de sa voix douce, mélodieuse, Diviciacos expliqua :
« Le Vide est primordial !
Le principe naît du vide.
Il se scinde en deux, les principes Ciel et Terre, absolus et complémentaires.
Puis ils se rapprochent dans un mouvement tournant comme les deux aigles lancés par Cernunos depuis des extrémités opposées de la Terre et qui se rencontrèrent à Delphes mais aussi en Armorique (Carnac) à côté de Gwened (Darioritum /Vannes) territoire des Vénètes, l’Omphalos, l’Ombilic, marquant le Centre du Monde. En se combinant dans un mouvement tourbillonnant, ils engendrent le 3 et tous les êtres de l’ Univers.
Le Cercle est la loi de transformation qui régit tout l’Univers : printemps, été, automne, hiver et à nouveau printemps…
Rien n’est permanent. Seule l’impermanence est permanente.
C’est le Centre du Cercle. Le Druide s’en inspire pour imiter l’ordre de l’Univers, c’est pourquoi il aspire à y retourner.
Le Vide médian en est son siège, d’où il regarde tourner tous les êtres de lumière. Le Centre est la Connaissance parfaite, celle qui ne fait rien que de se conformer à l’ordre de l’Univers. »
Les cinq Druides s’exclamèrent ensemble dans un tohu-bohu indescriptible bien gaulois sous le regard ébahit du Jeune Ovate…
De sa voix douce, Diviciacos arrêta ce tintamarre en disant :
« Appelez-le comme vous voulez, prenez des mots substitués : le Logos, La loi universelle, Le Moteur premier, l’oeuf cosmique , le Souffle de Vie…Le Maître de mes Maîtres, de mes Maîtres l’appelait d’un mot oriental : le Tao. (-1000 avt J.C.).
Diviciacos commençait déjà à disparaître derrière le Chêne où il était apparu, ne laissant subsister peu à peu que sa voix douce et son sourire. Et il se fonda dans le Vide médian.
Même parti, sa présence flottait encore au centre du feu.
« Ma foi, dit le Jeune Ovate, si le Centre est le Vide et le Plein à la fois, le Centre du Cercle et sa circonférence partout et nulle part, l’Intérieur et l’Extérieur, s’il est le Silence et Parole, Lumière et Ténèbres…J’en suis tout illuminé ! »
Les cinq Druides commencèrent à tourner autour du Jeune Ovate debout au centre du cercle, sans bruit, puis tombèrent en spirale, disparaissant à leur tour peu à peu comme Diviciacos.
Le Jeune Ovate resta seul au Centre de ce qui était le Cercle au milieu des cendres éteintes, l’aube du jour se faisant désirer.
Tout son corps palpitait d’une chaleur faisant fourmiller toutes les parties de son être. Il se sentit envahi par cette clarté paisible, calme, souveraine et éternelle.
Il ne sentait plus de Haut, plus de Bas, ni de Devant, ni de Derrière, ni même de Gauche ou de Droite. Le Passé et le Futur étaient confondus en un seul point. Il se voyait tout simplement lui-même de l’intérieur. Au milieu, il sentit poindre le Centre du Cercle comme la 7° Etoile. Il la reconnut aussitôt en souriant, comme s’il l’avait toujours connue attendant patiemment son retour.
Il entendit comme la voix de Diviciacos douce, claire presque murmurée au centre de sa tête et au creux de son esprit :
« Réveille-toi ! »
Kiredorix